En partenariat avec l’I.M.I : COLLOQUE D’UNE JOURNÉE SUR PIERRE JANET
Article mis en ligne le 6 novembre 2013
dernière modification le 31 mars 2018

par Isabelle Saillot
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NÉVROSES ORDINAIRES ET EXTRAORDINAIRES D’HIER ET D’AUJOURD’HUI

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Organisation Renaud EVRARD et Isabelle SAILLOT

Avec l’aide précieuse de l’I.M.I.

SAMEDI 14 DÉCEMBRE 2013

9h – 18h

I.M.I., 51 rue de l’Aqueduc, 75010 Paris

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La notion de « névrose extraordinaire » fut au centre de débats au sein de la Société Médico-Psychologique à partir de 1857. Pierre Janet critiqua cet adjectif qui ne rappelait que l’ignorance passée du médical face aux névroses, « comme s’il était raisonnable d’employer ce mot pour l’examen de phénomènes naturels » (Janet, 1909/2008, p. 372). Il s’agissait alors de mettre un nom sur un ensemble de cas à la limite des connaissances psychiatriques de l’époque, mêlant entre autres somnambulisme, double personnalité, crises hystériques, voyance et mediumnisme. Les années 1870 connurent une résurgence de ces « névroses extraordinaires » dans la suite du cas de la mystique belge Louise Lateau soumise à l’expertise des médecins, avec la formulation du diagnostic d’hystérie extatique (Lachapelle, 2004 ; Gumpper & Rausky, 2013). Pierre Janet a hérité de ce matériel clinique qu’il a été amené à observer et classifier, d’abord lors de ses études de somnambules, médiums et possédés réunies dans L’Automatisme Psychologique (1889) ; puis dans d’autres études sur les mystiques et les mécanismes des croyances. Ainsi a-t-il pu faire le pont entre deux époques, mais également entre l’extraordinaire et l’ordinaire, découpant le champ des « névroses ordinaires » que sont l’hystérie et la psychasthénie. De nos jours, cette notion de « névrose extraordinaire » pourrait aussi trouver sa place dans la nomenclature en tant qu’alternative diagnostique à la psychose pour une autre clinique : celle des hallucinations et délires non-psychotiques. Une réflexion reste à mener sur ce que seraient les formes ordinaires et extraordinaires de la structure névrotique (Evrard, 2013). Le destin de ce débat initié à la Société Médico-Psychologique n’est-il pas d’améliorer notre compréhension des névroses, à une époque tentée de les ignorer ?

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PROGRAMME (sous réserve de modifications mineures d’ici là)

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9h-10h : Accueil (café, croissants)

10h-10h15 : INTRODUCTION. Isabelle SAILLOT et Renaud EVRARD

10h15-11h00 : Pascal LE MALÉFAN

+++ Les aliénistes face aux névroses extraordinaires

11h00-11h45 : Renaud EVRARD

+++ Extraordinaire et psychopathologie chez Janet

11h45-12h30 : Stéphane GUMPPER

+++ Fonction heuristique des « mystiques » dans l’œuvre de Pierre Janet ?

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12h30-14h : Pause (repas libre)

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14h-14h45 : Manuella DE LUCA

+++ Dépersonnalisation à l’adolescence : une étrangeté ordinaire ?

14h45-15h30 : Lucien OULAHBIB

+++ Les défaillances obstinées (« névrotiques ») de la mise à distance transcendantale du monde

15h30-16h15 : Isabelle SAILLOT

+++ Des maladies extraordinaires aux troubles fonctionnels : histoire et actualité des névroses sous l’angle « janétien ».

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16h15-16h45 : Pause

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16h45-17h45 : Table-ronde avec tous les intervenants (questions du public)

17h45-18h : CONCLUSION. Isabelle SAILLOT et Renaud EVRARD

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+++++++++++++++ Les interventions feront l’objet d’un numéro spécial de la revue JANETIAN STUDIES en ligne +++++++++++++++

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PRÉSENTATION, INSCRIPTION

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+++++++++++++++ … en suivant ce lien ! +++++++++++++++

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RÉSUMÉS DES INTERVENTIONS

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Pascal LE MALÉFAN

Les aliénistes face aux névroses extraordinaires

Dans la première moitié du XIXè siècle les aliénistes et les médecins furent confrontés à des états pathologiques sortant de l’ordinaire, assez inexplicables et qui ne rentrent pas dans les cadres classificatoires ou correspondent difficilement aux étiologies établies. Parmi ceux-ci la léthargie, la catalepsie, le somnambulisme naturel, l’hystérie, l’automatisme ambulatoire, l’amnésie périodique et les personnalités multiples. La Société médico-psychologique a ouvert une rubrique spécialement pour ce genre de questions appelées "névroses extraordinaires", rubrique ayant existé de 1857 à 1861. À lire les observations publiées et leurs commentaires, il apparaît que le souhait d’alors était de faire rentrer ces phénomènes dans le cadre de la nosologie et de la science, et d’éviter ainsi que se propage le sentiment du merveilleux.

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Renaud EVRARD

Extraordinaire et psychopathologie chez Janet

Des maladies extraordinaires aux troubles fonctionnels : histoire et actualité des névroses sous l’angle En novembre 1885, la première allocution du jeune philosophe Pierre Janet, lue par son oncle le philosophe spiritualiste Paul Janet, relate d’étonnantes expérimentations d’hypnotisme à distance sur la somnambule normande Léonie Le Boulanger. Comment sa carrière a-t-elle pu débuter sur des observations aussi extraordinaires ? Or, la Société de Psychologie Physiologique accueille cette étude innovante très favorablement. Théodule Ribot la reproduit illico dans sa Revue de philosophie de la France et de l’Etranger. Même s’il fait l’objet de quelques critiques, Janet n’est pas rangé dans le placard des parapsychologues. Et pour cause : il n’y a pas encore de para-psychologie, la psychologie naissante cheminant dans une épistémologie extensible où dialoguent facultés de l’intelligence, psychopathologie, héritage magnétique recalibré en hypnotisme et lucidité paranormale.

Ce temps de l’extraordinaire prendra rapidement fin : le 25 décembre 1886, Janet parvient une dernière fois à endormir Léonie à distance lors d’un test improvisé, puis il la confie à son collègue Charles Richet qui poursuivra sur la voie qu’il baptisera « métapsychique ». La carrière de Janet fait un virage serré : les expérimentations du Havre disparaitront de sa thèse et seront constamment minimisées, et jamais plus il n’étudiera de front l’extraordinaire. C’est désormais en psychopathologue – et exclusivement ainsi, comme le lui reprocheront ses contemporains – que Janet traitera les « cas » de somnambulisme, médiumnité, mysticisme, possession et autres formes de « névroses ». Janet, incarnant ce qui sera le destin de la psychologie, parviendra à se démarquer de l’hétérodoxie métapsychique en produisant un savoir fondamental sur les activités psychiques échappant à la conscience et leurs manifestations plus ou moins morbides. Les « névroses ordinaires » trouvent là leurs racines. Mais, en revenant à ce moment de bascule dans la théorie et la pratique de Janet, nous pouvons également dégager des « névroses extraordinaires » qui mêlent les mécanismes de la névrose avec des phénomènes aujourd’hui assimilés à la psychose : les hallucinations et les délires. Face à la persistance de cette clinique des expériences interprétées comme paranormales (ou « expériences exceptionnelles »), l’héritage de Janet, avec ses intuitions et ses contradictions, se doit d’être réexaminé.

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Stéphane GUMPPER

Fonction heuristique des « mystiques » dans l’œuvre de Pierre Janet ?

La trajectoire intellectuelle de Pierre Janet (1859-1947) le révèle, dans un mouvement d’après-coup (nachträglich), comme un homme divisé : en proie, au cours de son adolescence, à un vécu intime à caractère mystique, l’ayant plongé dans une profonde dépression dont il ne sortira que grâce à son attrait pour la philosophie, il perd sa foi catholique. Par la suite, son champ réflexif sera irrigué par une double formation, d’abord philosophique (il récusera la métaphysique au profit d’une inclination prononcée pour la psychologie expérimentale de Th. Ribot qui deviendra son maître), puis médicale (Charcot lui offrira de diriger dès 1889 un laboratoire de psychologie expérimentale à la Salpêtrière créé à son intention). Son enseignement, d’abord en Sorbonne (1898-1902), puis au Collège de France (1902-1934), sera une illustration savante du primat de la méthode pathologique, venant systématiquement relayer des explications métaphysiques au cadrage limité initialement avancées. « Agnostique et libéral » (Ellenberger), Janet maintiendra un semblant de tolérance à l’égard du catholicisme ordinaire, mais disqualifiera longtemps les états mystiques réduits sentencieusement à des expressions morbides. Car de fait, dans le sillage de Ribot, comment dialectiser une « éclipse du savoir » chez les mystiques tout en mettant en réserve son propre éprouvé intérieur ? Plus encore, et si Janet s’était défendu, sa vie durant, contre l’émergence de ce vécu religieux à caractère paroxystique qui le submergea avec violence durant son adolescence, en (se) forgeant progressivement une théorie psychologique homogène à visée totalisante (système hiérarchisé des tendances) ? En tout état de cause, sa théorisation dynamique aura notamment vocation à interroger le statut de la croyance (réfléchie/asséritive) qu’il situe dans les tendances moyennes, exemplifiée à l’aune de son cas princeps, Madeleine Lebouc (qui traversera de manière transversale une grande partie de son œuvre). Cette « malade mystique » cristallise en quelque sorte la valeur heuristique des mystiques, en tant que levier d’investigation du morbide, censé étayer sa conception de la psychologie pathologique [1889-1933]. Autrement dit encore, ce dilemme janétien éclaire, de manière tamisée, un paradoxe assurément fécond chez lui : sa propre subjectivité (cf. vécu mystique) mise à distance fait retour dans la mesure où Janet ne cesse de mettre en discours sa problématique personnelle, par le biais de ses cours, conférences, articles, ouvrages, discussions, comptes-rendus…, partiellement polarisée sur son intérêt pour les mystiques ! Si donc les « mystiques » ont eu pour Janet valeur heuristique dans l’élaboration de son système théorique, une disjonction (très) progressive s’opère dans son œuvre au regard de l’identification entre malades et mystiques [1934-1947], augurant d’un renouvellement tardif et original de sa pensée. Cette « rupture épistémologique » mérite qu’on s’y attarde car Janet interroge en filigrane l’articulation, mais également les lignes de rupture, entre vécus morbides et expériences mystiques. En guise d’hypothèse opératoire, peut-être que le mécanisme de la croyance (délirante/religieuse) fait littéralement fonction de symptôme dans l’économie désirante de Janet ; symptôme qui se conjugue au pluriel des mystiques à défaut d’une énonciation singulière de Pierre Janet, échouant in fine à parler en son nom propre ?

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Manuella DE LUCA


Dépersonnalisation à l’adolescence : une étrangeté ordinaire ?

Le terme de dépersonnalisation a été introduit pour la 1ère fois en 1898 par Dugas pour décrire chez un sujet un vécu d’étrangeté de ses actes mais aussi de son sentiment d’existence. Le début du 20ème siècle a été fécond en descriptions phénoménologiques de ce paradoxe existentiel d’être en n’étant pas. Pour P. Janet, la baisse de la fonction du réel participe à la genèse du sentiment négatif d’incomplétude qui caractérise la dépersonnalisation. M. Bouvet a proposé la notion de névrose de dépersonnalisation pour souligner que tout tableau de dépersonnalisation ne se déploie pas au sein d’une structure psychotique. Les classifications internationales dans leur dernière version, font de la dépersonnalisation, une sous-catégorie des troubles névrotiques pour la CIM 10 et des troubles dissociatifs pour le DSM V.

Les transformations corporelles induites par la puberté, l’efflorescence pulsionnelle et les enjeux identitaires, confrontent l’adolescent avec un vécu fréquent d’étrangeté. Cette étrangeté ordinaire peut revêtir le masque de l’inquiétant et s’accompagner de phénomènes délirants dans lesquels le regard et au-delà le narcissisme et la pulsion scopique sont fortement engagés.

La porosité des limites, ou de ce que P. Federn nommait les frontières du moi, la fragilité narcissique de certains adolescents, la sexualisation de leur vie fantasmatique, comme les défaillances du refoulement favorise une sission du moi et l’émergence d’une névrose de dépersonnalisation mais peut aussi s’étendre dans un clivage du moi et une dépersonnalisation intégrée à des modalités psychotiques. L’étrangeté ordinaire de l’adolescence qui revêt une potentialité trophique pour la psyché peut se transformer en inquiétante étrangeté signant un débordement des capacités de liaison du moi et l’échec d’une dépersonnalisation névrotique.

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Lucien OULAHBIB


Les défaillances obstinées (« névrotiques ») de la mise à distance transcendantale du monde

L’hallucination mystique et ses stigmates d’imitation (chez François d’Assise, la Madeleine de Janet, et, aujourd’hui, BHL incité par Villepin lorsqu’il fit état de « sillons de sang »[1] après avoir rencontré ce dernier) serait le refus obstiné (« névrotique ») d’une dissociation entre imaginaire et réel au sein de la synthèse corps/conscience. Ainsi le Moi (composant la synthèse conative et cognitive singulière) s’exprime par les sentiments (ou jugements) du Je dans le Soi du monde humain. Ce dernier incarne cette intersubjectivité ou « chair » disait Husserl « du corps en acte » selon les mots de Berthoz lorsqu’il préface le livre de Bernard Andrieu (Le monde corporel, 2010). Ce qui implique que lorsque ce Soi se déploie dans le monde (la res extensa de Descartes) il raisonne et résonne en même temps ce dernier, mais ceci ne va pas sans mal puisqu’il s’agit à chaque fois de ne pas seulement s’y déplier ou s’y replier, se conserver, mais aussi se développer, s’affiner. Grandir. Ou la transcendance elle même. Celle du monde objectif. Sauf que cet effort (au sens biranien et janetien) peut y défaillir.

[1] http://www.lexpress.fr/culture/livre/quand-les-mains-de-bhl-se-mirent-a-saigner_847553.html#1ezmt1Jr5O0Zyfwj.99

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Isabelle SAILLOT


Des maladies extraordinaires aux troubles fonctionnels : histoire et actualité des névroses sous l’angle ’janétien’

La classification des névroses repose sur des critères de distinction entre maladies, dont l’un des premiers fut celui de « l’extraordinaire » (Janet, 1909). En historien autant qu’en clinicien, Janet s’attache à montrer le passage progressif de ces « maladies extraordinaires » aux conceptions postérieures. À la fin du 19ème siècle, improprement qualifiées de maladies « sans lésion », les névroses menacent de disparaître à la moindre « découverte histologique » (Janet 1926) : anticipant la découverte des neuromédiateurs centraux, Janet refuse de définir les névroses par un appel à l’ignorance. La conception de maladies « fonctionnelles » semble plus opératoire au plan clinique, car en effet « ce sont les fonctions qu’on nous demande de rétablir » (Janet 1909) constate le psychologue. Ainsi, selon Janet la frontière entre organique et fonctionnel trace celle entre médecine et psychologie, et l’intervention psychothérapeutique – fondée sur l’exploitation de ‘lois psychologiques’ – reçoit avec lui sa dernière caractérisation non ambigüe (Janet 1923). Car si la médecine contemporaine retient la notion de « trouble fonctionnel », le rôle de la fonction en a été expurgé : aujourd’hui un trouble est « fonctionnel » s’il est « non médicalement expliqué » (« unexplained by disease »). Un retour de l’argument d’ignorance à confronter au renouveau « d’extraordinaire » que nous inspirent aujourd’hui des phénomènes jadis caractérisés avec précision par Janet, tels que l’hypnose, la suggestion ou la dissociation.

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