Le 59ème Congrès de la Société Française de Psychologie aura lieu à Reims les 5, 6 et 7 septembre 2018. Comme tous les ans, je co-organise deux symposiums avec Gilles Lecocq : Épistémologie de la psychologie et Histoire de la psychologie.
Chacun des deux sera l’occasion de rappeler l’actualité des travaux de Pierre Janet pour la recherche en psychologie contemporaine.
1/ ÉPISTÉMOLOGIE de la psychologie
Jeudi 6 / 15:30 / Salle 18-1001
---UNE PRÉSENTATION DU SYMPOSIUM
C’est à la fin du 19ème siècle que la psychologie entreprend de s’émanciper de la philosophie ; la jeune « science » devient alors peu à peu une discipline expérimentale dont les lois sont de nature statistique. Pour autant, tout concept philosophique a-t-il été exclu de la psychologie ? Réfutant le slogan « La science ne pense pas » de Heidegger, D. Lecourt montre dans Contre la peur [1], que bien au contraire, une pensée profonde et féconde forme le soubassement des notions scientifiques.
En effet, de la physique à la psychologie en passant par la biologie, « La science pense » : sous les notions utilisées au laboratoire, derrière les séries statistiques, des fondements conceptuels existent et, bien souvent, orientent les recherches et leurs interprétations. Il est d’autant plus important d’élucider ces fondements dans les domaines de la psychologie de la santé ou de la psychopathologie, car les enjeux étant alors pratiques, ils sont éthiques.
La pensée implicite qui anime les variables psychologiques et leurs arrangements en modélisations est nourrie d’histoire, parfois de plusieurs siècles ; c’est ce constat qui distingue l’école d’épistémologie française depuis Bachelard [2]. Ce symposium d’épistémologie de la psychologie, dans la perspective de l’épistémologie historique bachelardienne, nous permettra de dégager ce qui « pense » sous quelques-uns des concepts actuels de la psychologie expérimentale.
[1] Lecourt D. (1990/2011). Contre la peur. Paris : Quadrige/PUF.
[2] Bachelard, D. (1934). Le Nouvel Esprit scientifique, Paris : Alcan.
---MON INTERVENTION SUR L’ACTUALITÉ DES TRAVAUX DE P. JANET (RÉSUMÉ)
Saillot I. (2017). Grand angle : psychiatrie artificielle et énergie, quelques remarques dans la perspective de la psychodynamique expérimentale. Revue Dogma en ligne. Édition Automne-Hiver 2017. http://www.dogma.lu/pdf/IS-modelisation-energie.pdf
Parmi les modélisations récentes des phénomènes de la psychologie normale et pathologique, celle de Marchais & Cardon se distingue par la place accordée à l’autonomie de la psychologie comme niveau logique. Selon ces auteurs, la psychologie n’est pas un effet déterministe de causes neurologiques et plusieurs niveaux logiques d’explication les séparent. Pour Marchais & Cardon, les dysrégulations des systèmes neurochimiques sont des effets d’un trouble énergétique. Cette conception du trouble psychologique comme problème énergétique démarque leur hypothèse et la rapproche de l’un des seuls modèles à donner sa place à l’énergétique du système, un modèle historique de la psychopathologie française : celui de Pierre Janet.
À propos de la classe des névroses, Janet explique que la dérégulation énergétique en est « un caractère général ». Pour lui, l’abaissement de la tension psychologique est la cause simultanée de la dépression psychologique et de diverses dysrégulations des systèmes neurobiologiques du cerveau bien identifiées aujourd’hui. Pour lui en effet, « la névrose n’est pas une défectuosité dans le moteur lui-même, mais (…) consiste surtout en une diminution de tension dans l’activité du moteur, en une sorte d’hypofonctionnement ». De plus, précise-t-il, la notion de « l’énergie » du patient n’est pas suffisante, car dans bien des cas les névrosés ne sont pas médicalement épuisés. Ces patients ne manquent pas « d’énergie » (ou de force), mais de « tension » : je rappellerai ici comment la distinction des deux concepts de Force et de Tension est au fondement-même des principaux symptômes (inhibitions, aboulie, doutes, ruminations) de la psychopathologie de Janet, et la pertinence qu’elle présente encore pour la nosographie contemporaine.
2/ HISTOIRE de la psychologie
Vendredi 7 / 10:30 / Salle 18-1006
---UNE PRÉSENTATION DU SYMPOSIUM
Dès son intégration à la recherche internationale, contemporaine de l’apparition des premiers laboratoires, la psychologie moderne est tournée vers la société et les applications utiles qui peuvent être faites de ses savoirs. Enfin séparée de la philosophie, la jeune discipline expérimentale déploie ses efforts sociétaux dans de nombreuses directions, en particulier la santé, le travail, l’orientation scolaire et professionnelle [1]. Le premier Congrès international de psychologie appliquée, tenu à Paris en mars 1929 sous la présidence de Pierre Janet, fait déjà le bilan de deux décennies d’applications sociétales de la psychologie.
Autour des années 1900, l’école française de psychologie pathologique jouit d’un grand prestige international, et ses applications sont reconnues bien au-delà de nos frontières. En donnant à l’étude de l’hystérie sa forme la plus aboutie, Pierre Janet contribue significativement aux avancées des connaissances dans un nouveau domaine : la dissociation traumatique [2]. Ces nouvelles approches vont bientôt redessiner le paysage des psychothérapies, dont les caractéristiques perdurent jusqu’à aujourd’hui.
En concentrant ses efforts sur les applications sociétales, la psychologie de la fin du 19ème siècle a modelé le contexte qui évoluera jusqu’à nous, en particulier dans le domaine de la santé. Ce Symposium d’histoire de la psychologie visera à mettre en perspective la volonté des chercheurs, autour des années 1900, de faire de la psychologie une science utile à la société, permettant de répondre à des enjeux, qui pour beaucoup, sont encore les nôtres aujourd’hui.
[1] Nicolas, S. (2002). Histoire de la psychologie française. Paris : In Press.
[2] Onno Van der Hart, Paul Brown & Bessel A. Van der Kolk. Le traitement psychologique du stress post-traumatique de Pierre Janet. Société Médico-Psychologique : Annales Médico-Psychologiques, 1989, 9, 976-980.
---MON INTERVENTION SUR L’ACTUALITÉ DES TRAVAUX DE P. JANET (RÉSUMÉ)
Saillot I. (2018). PTSD post-diagnostic du cancer : « déni » ou amnésie dissociative ?
European Journal of Trauma & Dissociation. Article sous presse.
https://doi.org/10.1016/j.ejtd.2018.04.004
Après l’annonce du diagnostic d’un cancer, certains patients semblent s’enfoncer dans le « déni » de leur état. Dès le début du 20ème siècle, le « déni » est considéré comme un « mécanisme de défense ». La théorie Kubler-Ross’s inclue le déni comme première réaction face à l’annonce d’une maladie grave. Celle d’Eriksen (1966) est reprise par Miller (1980, 1987), qui positionne le « déni » comme un style de coping. En donnant la première version aboutie d’un modèle psychologique du stress, Lazarus (Lazarus, 1966, Lazarus & Folkman, 1984) fait entrer le « déni » dans le modèle « transactionnel » encore utilisé aujourd’hui.
Mais depuis une trentaine d’années, l’annonce du cancer est aussi comparée à un choc traumatique : la 4ème édition du manuel DSM (APA, 1994), qualifie l’annonce d’une maladie grave d’événement traumatisant, pouvant être suivi d’un PTSD (Ciuhu & al., 2016). Ronson (2005) et Civilotti (2015) rapprochent ce trauma de la dissociation, Ronson envisageant la dissociation comme une rupture dans la mémoire du sujet.
Or, pour Janet, amnésie et dissociation traumatique ne font qu’un. Ses cas cliniques Irène et L. en sont les meilleurs exemples. Or, d’après les critères de la MAC, de nos jours n’aurait-on pas qualifié les témoignage d’Irène et L. de « déni » ? L’entrée au DSM-5 (APA, 2013), d’un sous-type de PTSD de nature dissociative constitue une importante avancée des connaissances, et un premier pas vers la clarification des rapports entre dissociation et amnésie traumatique.
Consultez aussi le site du congrès SFP 2018.